Sophie est enseignante-chercheuse à l’École Normale Supérieur, l’institution universitaire la plus prestigieuse et la plus sélective de France. Pour faire plaisir à Ninon, sa fille de neuf ans, passionnée de poney, elle expérimente avec elle une séance d’éthologie équiffle. Cette discipline consiste à interagir avec un cheval à pied en prenant en compte le comportement l’animal pour le faire obéir.
N’ayant jamais approché un cheval de sa vie, c’est avec quelque appréhension qu’elle rencontre sa partenaire, Dune, une plantureuse jument percheronne. Les consignes sont simples : Sophie doit faire évoluer l’animal dans le manège, sans lui parler, ni le toucher uniquement par la posture et les gestes. L’éthologie est basée sur le renforcement positif : le cheval reçoit une récompense à chaque fois qu’il exécute parfaitement un ordre. On le félicite par une caresse ou un câlin. Tant que l’exercice n’est pas bien fait, on recommence.
Le moniteur lui montre comment faire marcher Dune. Cela paraît évident. Et pourtant, dès que Sophie prend le licol, Dune refuse d’avancer. Sophie n’est pas connectée au cheval, il n’a donc aucune raison d’obéir. Progressivement, elle modifie sa posture, met plus d’intention dans ses gestes, dégage davantage d’énergie, se montre plus convaincante et Dune obéit.
Les exercices s’enchaînent, de plus en plus complexes : Dune doit reculer, slalomer entre des plots, franchir seule un passage étroit, trotter et s’arrêter sur demande. En plus d’obéir à Sophie, Dune ne doit pas se laisser distraire par les autres chevaux présents.
Sophie est sortie bouleversée de cette expérience.
C’est la meilleure des thérapies, on est nu face à soi, face à ce qu’on ne sait pas faire. Ce regard du cheval qui attend mes intentions, sans jugement est incroyable.
Qu’a appris Sophie de Dune pour son métier d’enseignante ?
- La nécessité impérieuse de se connecter aux élèves, d’obtenir leur attention, sans quoi il ne se passe rien.
- On ne reçoit en retour que l’énergie que l’on met.
- Il faut être très décidé pour obtenir une mise en mouvement
L’attention donnée est un effort. Au bout de trente minutes, on se sent complètement vidé. Dès qu’on enlève l’énergie, on ne peut pratiquement plus transmettre. Si on s’éteint soi-même, tout s’éteint. On est responsable à 100% de l’énergie donnée, et c’est très fatigant. Cela incite à être court dans sa prise de parole, plutôt que s’étaler avec le risque de perdre la connexion avec le public. Sophie a aussi compris combien la présence-présence favorisait la transmission. Il ne s’agit pas seulement d’être en présentiel, il faut engager pleinement son attention, comme le cheval le demande, pour transmettre. Cette situation est irremplaçable. Les millions de vidéo disponibles sur Youtube n’atteindront jamais la qualité d’un cours vivant pendant lequel le professeur parvient à entrer en connexion et maintenir l’attention des élèves.
Simone Weil le disait déjà en 1942 : l’attention est un miracle, à portée de tous, à tout instant. Quand on a expérimenté la véritable attention, on n’a qu’une envie : tout faire pour la retrouver.
Peut-être pourrez-vous profiter des vacances de printemps pour tester une séance d’éthologie ? C’est une manière agréable d’expérimenter l’art de l’attention.