"Il n’y a pas de chemin logique menant de l’expérience à la théorie." Einstein
Pourquoi l’expérience ne mène pas à la compréhension
Ma fille garde un souvenir mémorable de son premier exercice de SVT au début de sa 6ème. Son professeur lui a montré trois photos du même arbre prises à différentes heures. Le but ? Amener les élèves à comprendre que la position du Soleil dans le ciel change au fil de la journée, et ainsi les guider vers l’idée de rotation de la Terre. Question du professeur : « Que constatez-vous ? » Réponse juste de ma fille : “Je constate que l’arbre ne bouge pas.”
L’illusion pédagogique du constructivisme
Cette scène illustre parfaitement la logique encore dominante en France : le constructivisme. On attend de l’élève qu’il découvre par lui-même la règle, à partir de l’observation. En théorie, cela semble séduisant : les élèves participent activement, manipulent des données, construisent leur savoir… Mais en pratique ?
- On ne sait jamais ce que les élèves vont déduire
- Certains retiennent des conclusions fausses (comme penser que le vent déplace l’ombre)
- Beaucoup ne feront pas le lien entre expérience et théorie
Einstein l’affirmait avec force : Il n’y a pas de chemin logique menant de l’expérience à la théorie. Le plus souvent, l’observation juste conduit à l’erreur. Observer une ombre qui se déplace fait penser que le Soleil tourne autour de la Terre et non le contraire.
La théorie précède et oriente l’interprétation des faits. Il faut un cadre théorique pour comprendre le réel et non le contraire.
Sans explication claire et structurée, l’expérience seule est impuissante à conduire vers la théorie.
L’enseignement explicite : une méthode prouvée scientifiquement
Le professeur John Hattie[1] a révolutionné notre compréhension de l’enseignement efficace en s’appuyant sur une approche rigoureusement scientifique. Il a compilé et analysé les résultats de plus de 2 100 méta-analyses portant sur 130 000 études et impliquant plus de 400 millions d’élèves à travers le monde. Il publie ses conclusions dans Visible Learning en 2008.
En 2023, après 15 ans d’études, sa nouvelle version Visible Learning : The Sequel, recense tout ce qui facilite l’apprentissage des élèves (learning), tandis que la première édition évaluait les meilleures pratiques d’enseignement (teaching).
Comment a-t-il procédé ?
John Hattie a utilisé un indicateur statistique clé : la taille d’effet (d de Cohen), qui mesure l’impact d’une méthode sur l’apprentissage des élèves. Il a défini un seuil de 0.40 comme référence : en dessous, l’impact est jugé limité, au-dessus, il devient significatif. Cette approche lui a permis de comparer objectivement des centaines de facteurs : méthodes pédagogiques, attitudes des enseignants, motivation des élèves, politiques éducatives, technologie etc.
Parmi les facteurs d’efficacité pédagogique (d > 0.6, effet très significatif), on trouve :
- L’enseignement explicite (d = 0.75) : L’enseignant explique la règle, la démontre, puis accompagne l’élève dans sa pratique.
- Le feedback immédiat et précis (d = 1.21) : Corriger l’erreur avant qu’elle ne s’ancre durablement dans la mémoire. Le bon feed-back doit répondre aux trois questions : où en suis-je ? Où dois-je aller ? Comment y arriver ?
- L’enseignement des stratégies d’apprentissage (d = 1.43) : L’enseignant ne se contente pas de transmettre du savoir, il enseigne aussi comment apprendre efficacement.
- La relation enseignant-élève (d = 0.72) : une relation de confiance et de bienveillance améliore significativement la motivation et l’engagement des élèves. L’enseignant doit être accessible et montrer qu’il croit en ses élèves.
Ce qui fonctionne mal :
- L’apprentissage par découverte, l’approche constructiviste (d ≈ 0.31) : inefficace pour les concepts nouveaux et pénalise les élèves en difficulté.
- Les redoublements (d = 0.32) Peu d’effet bénéfique, et souvent démotivant pour l’élève.
- Adapter l’enseignement aux styles d’apprentissage (d < 0.20) Aucune preuve scientifique que les élèves apprennent mieux selon leur « style » (visuel, auditif, kinesthésique). Ce qui compte, c’est d’être clair !
- Réduire la taille des classes (d = 0.19) Avoir moins d’élèves par classe n’améliore pas automatiquement l’apprentissage.
Sa conclusion est sans appel : les approches pédagogiques qui ont le plus d’impact sur la réussite des élèves sont celles qui offrent une explication claire et structurée, suivie d’une pratique guidée avant une mise en autonomie.
L’un des arguments en faveur du constructivisme est qu’il favoriserait l’autonomie et l’esprit critique des élèves. Or, l’autonomie ne se décrète pas, elle se construit progressivement, à partir de bases de connaissances solidement ancrées. L’apprentissage se fait du guidage explicite vers l’indépendance, et non l’inverse. On ne peut pas demander à un débutant de raisonner comme un expert, et on ne peut pas raisonner sans un minimum de connaissances. Cela revient à mettre la charrue avant les bœufs.
L’enseignement explicite peut être complété par des phases exploratoires une fois que les bases sont bien intégrées. On peut donc combiner intelligemment les deux approches, en commençant toujours par une phase explicite.
Pourquoi la France persiste-t-elle dans l’erreur ?
A partir de mai 68, à la suite des travaux de Jean Piaget[2], l’école française a rejeté les méthodes perçues comme trop directives ou autoritaristes. Une méfiance s’est installée contre les pédagogies jugées trop “traditionnelles” (enseignement magistral, mémorisation, répétition). L’idée que l’élève doit être libre et autonome s’est imposée comme une norme éducative. En conséquence, l’enseignement explicite, perçu comme trop dirigiste, a été décrié. La répétition et la mémorisation, pourtant essentielles selon les neurosciences, ont été reléguées au second plan au profit d’une approche basée sur l’expérience et la découverte.
Pourtant, dans les pays les plus performants (Singapour, Finlande, Pays-Bas), l’enseignement explicite est la norme — et ça fonctionne.
Les recherches en neurosciences, notamment celles de Stanislas Dehaene[3], confirment que le cerveau apprend mieux quand il est guidé et structuré.
Malgré l’accumulation de preuves et sa la dégringolade continue au classement PISA, la France peine à réformer son approche pédagogique.
Cette étude magistrale confirme mes intuitions pédagogiques et le travail que je mène avec les élèves pendant mes stages. Il ne suffit pas de demander à un élève d’apprendre son cours pour qu’il soit capable de le faire. La bonne stratégie consiste à l’accompagner pas à pas sur comment apprendre un cours. En sachant comment faire, l’élève gagne en compétence et en confiance.
[1] John Hattie est professeur émérite à l’Université de Melbourne en Australie. Il a été directeur de l’Institut de Recherche en Éducation (Melbourne Education Research Institute) et a également présidé l’Australian Institute for Teaching and School Leadership (AITSL).
[2] Jean Piaget était un psychologue suisse du XXᵉ siècle, célèbre pour ses travaux sur le développement cognitif de l’enfant et considéré comme l’un des fondateurs du constructivisme en éducation.
[3] Stanislas Dehaene est un neuroscientifique français, professeur au Collège de France, spécialiste des mécanismes cérébraux de l’apprentissage, de la lecture et de la conscience.