Ordre ou désordre, point trop n’en faut
Pour mes vacances, j’ai été invitée par deux familles très différentes. Deux maisons, deux ambiances, deux arts de vivre. Ce contraste m’a interpellée : la manière de ranger – ou pas – influence-t-elle notre façon de penser ?
Chez mes amis, tout est ordonné, propre, rangé. La table de Pâques, fleurie, dressée sur une nappe immaculée, met en valeur le grand couvert et l’argenterie parfaitement polie. L’harmonie règne, la beauté agit comme un baume apaisant. Mais l’exigence de perfection a un coût. Les parents dépensent beaucoup d’énergie à tenir leur intérieur, traquant la moindre saleté avec la rigueur d’un adjudant en inspection. J’ai surpris le père à relaver des plats que sa fille venait de nettoyer : ils n’étaient pas assez propres à son goût. Cela a dégénéré en dispute homérique, qui a plombé l’ambiance du repas.
Chez mon oncle règne un joyeux bazar. Ranger et frotter ne sont pas dans l’ADN familiale. Trois couples et leurs enfants en bas âge occupent les lieux. La maison grouille de bambins. Les chambres sont en désordre, les vêtements sales jonchent le lino de la salle de bains, la vaisselle s’entasse dans l’évier, un jeu de société inachevé occupe la table basse. Qu’importe, ce qui compte, c’est d’être ensemble, de vivre joyeusement l’instant présent. On sollicite mon oncle pour réparer une fuite ici, une chaise haute là. Sinon, il travaille tranquillement sur son ordinateur. Je me sens tout aussi bien dans cette villa normande défraîchie. Ici, on ne disperse pas son énergie sur des tâches ménagères. L’ambiance est détendue, l’injonction de la to-do list s’évanouit comme par magie.
J’ai tendance à croire que l’ordre favorise la pensée claire et à fortiori la réussite scolaire. Pourtant, les enfants de ces deux familles ont brillé dans leurs études. Le lien n’est donc pas si évident…
Faut-il être organisé pour bien penser ?
Depuis le temps que j’accompagne des élèves en méthodologie j’ai rencontré tous les profils. A l’extrême, il y a Clara. C’est une bosseuse ultra-organisée, elle classe, trie, range, n’oublie rien. Ses cahiers sont propres, ses cours stabilobossés, son bureau nickel. A l’opposé, voici Maxime. Il est doué, mais sa pensée part dans tous les sens et le chaos règne dans son sac à dos. Spécialiste de feuilles volante illisibles, il n’a qu’un Bic qui fuit, perd ses affaires, s’y met au dernier moment – quand il s’y met- et bosse au lit, car son bureau est trop encombré.
Trop d’ordre ? Gare au perfectionnisme
Clara travaille beaucoup, réussit bien…. mais s’épuise. Elle passe trop de temps à pinailler sur les détails et perd la vue d’ensemble. Elle se met trop de pression, se bloque souvent puis se décourage. La peur de rater lui fait perdre ses moyens, jusqu’à rendre parfois copie blanche. Elle ne s’autorise pas l’erreur, est obsédée par les notes. C’est un perfectionniste. Son souci de bien faire, poussé à l’extrême, l’empêche de faire.
Trop d’ordre, trop de contrôle, trop d’exigence : cela fige la pensée. On ne peut pas créer, inventer, se libérer des injonctions.
Thomas Curran professeur en psychologie à la LSE à Londres, et auteur du livre The Perfection Trap: Embracing the Power of Good Enough paru en 2023, montre que les élèves perfectionnistes et souvent ultra-ordonnés présentent un risque accru de procrastination déguisée. La peur de mal faire les détourne vers tâches secondaires : relaver de la vaisselle propre, allonger leur to-do list ou vérifier leurs mails… pour éviter l’action qui comporte un risque d’erreur ou d’imperfection.
Trop de désordre ? Adieu l’efficacité
Maxime, lui, travaille peu. Il compte sur son talent. Quand il décide enfin de s’y mettre, il perd un temps fou à chercher ses affaires. Il lui manque toujours un bout de cours. Il a plein d’idées, mais ne sait pas les ordonner, n’arrive pas à structurer sa pensée. Comme il ne se relit pas, il laisse passer plein d’erreurs. Il pense bien, mais produit peu.
Désordre modéré, idées originales
Kathleen Vohs et ses collègues (Université du Minnesota, 2013) ont mené une expérience où deux groupes réalisaient une tâche créative : ceux placés dans une pièce désordonnée ont produit des idées statistiquement plus originales. Le désordre stimule la pensée divergente (exploratrice, inventive) et favorise l’innovation.
Mais au-delà d’un certain seuil, cela devient improductif. Trop de stimuli encombrent le cerveau. Comme le disait déjà Périclès : Celui qui a des idées mais ne sait pas les exprimer n’est pas plus avancé que celui qui n’en a pas…
La clé ? Trouver l’équilibre
L’efficacité repose sur l’équilibre entre structure et souplesse, organisation et improvisation. L’excès, dans un sens commedans l’autre, freine la fluidité mentale et nuit à la performance. On a besoin d’ordre pour produire et de souplesse pour créer.
Quelques conseils pratiques
Nos comportements sont des réponses à nos peurs enfouies, pas simples à déraciner. La stratégie des petits pas est à privilégier.
Paradoxalement, il est plus difficile de ne pas faire que de faire.
Pour les perfectionnistes, les maniaques de l’ordre et du contrôle, je recommande la Don’t Do List. Choisir quelques activités à ne pas réaliser aujourd’hui (laver la casserole juste après l’avoir utilisée, vérifier ses mails en continu, ranger son bureau…). L’enjeu : s’entraîner à lâcher le contrôle peu à peu.
Pour les désorganisés chroniques : choisir de ranger un truc par jour et s’y tenir.
La stratégie des petits pas mène aux grandes victoires.
Comme disait Lao Tseu : un voyage de mille lieues commence par un pas.