"L'éducation est l'art de la patience"
A la fin de la magnifique et sportive randonnée des Gorges de la Véroncle dans la Vaucluse, le chemin débouche sur une route qui mène au village. Et là, comme un cadeau, les marcheurs fatigués sont accueillis par le vénérable chêne de Murs. Ce chêne pubescent aux dimensions exceptionnelles semble posé là depuis toujours. A chaque passage, je reprends des forces sous son ombre et contemple sa majesté. Comment concevoir qu’un tel chef-d’œuvre provienne d’un simple gland ? Il est impensable d’imaginer un chêne en regardant un gland ou un papillon à partir d’une chenille.
Cette analogie devrait rassurer les parents que nous sommes. Il est impossible de deviner les adultes qu’ils deviendront dans les bébés, les enfants et même les adolescents qu’ils sont. Cette vérité toute simple nous invite à la patience, à la confiance, et parfois à l’espérance.
Dans notre monde marqué par la vitesse et la quête de productivité, la patience n’a plus la cote. Pourtant, c’est un vrai cadeau, pour nos proches et pour nous-mêmes, et un antidote à la pression de l’immédiateté.
A l’école de la patience
L’éducation est l’art de la patience disait Rousseau. Élever des enfants demande beaucoup beaucoup de patience, et beaucoup, beaucoup de répétition. A l’ère de la vitesse, de l’immédiateté, on confond apprendre et s’informer. Si nous adorons savoir, nous aimons moins apprendre… L’école enseigne la patience, car apprendre exige un processus lent. La compréhension est rarement instantanée et maîtriser un savoir passe par des répétitions, des échecs, de la persévérance. Les progrès finissent par arriver, mais avec un délai.
La vie quotidienne est aussi une école de patience. Qu’il m’est difficile de faire la queue au supermarché, d’attendre chez le médecin, de ne pas couper la parole quand la conversation m’ennuie, de patienter au téléphone sur une hot-line ou de marcher à côté de quelqu’un qui lambine ! Les parents d’adolescents sont en première ligne pour expérimenter la « sainte patience ». On les attend beaucoup nos ados, et pas qu’au tournant ! On attend qu’ils s’y mettent, on attend le déclic, parfois longtemps, on attend leur motivation. Soyons confiants, elle finit toujours par arriver, quand on ne l’attend plus !
La fabrique de l’impatience
Les technologies modernes ont réduit le temps qui sépare le désir de sa satisfaction. Recevoir colis, repas, ou divertissements, à profusion et sans délai est devenu une habitude. Une envie soudaine de sushis, du dernier Goncourt ou d’un nouveau matelas ? En quelques clics, tout est commandé, emballé, et livré en un temps record, pour notre plus grand plaisir. A l’ère de la vitesse, de l’immédiateté, tout est conçu pour éviter l’attente, considérée comme la plaie de la modernité.
Mais la vitesse a un coût : la frustration. Moins nous prenons l’habitude d’attendre, plus l’attente devient frustrante. Certaines activités requièrent du temps long. Ces activités lentes par nature, la lecture, l’écriture, les sciences dures, les démonstrations, le « par cœur », sont délaissées par les impatients que nous sommes devenus. Certains jeunes m’avouent ne plus aller au cinéma : c’est trop long, disent-ils, et on ne peut pas scroller sur notre tél en même temps !
Combattre l’impulsivité
Comment résister à la tyrannie de la réactivité ? En cultivant l’art d’attendre. Offrir aux enfants la possibilité d’éprouver l’ennui est une clé. Il faut résister à la tentation de leur offrir un dérivatif à la moindre plainte. Les laisser inventer leurs jeux leur permet de développer leur imagination et de savourer la joie de l’improvisation. Les parents ont également intérêt à proposer des activités qui exigent l’effort avant le réconfort. En engageant le corps si possible. Cuisiner, bricoler, chanter, jouer d’un instrument, faire du théâtre, pratiquer un sport, randonner, naviguer, converser, coder ou lire tout simplement, la liste de possibles est infinie. Apprenons à ne pas presser nos enfants, ni surcharger leur agenda. Ils éprouveront ainsi la sensation des temps longs et apprivoiseront l’art de patienter.
Bains de nature
Le monde accélère, mais tout n’accélère pas à la même cadence. Les enfants ne poussent pas plus vite qu’hier, et ce n’est pas en multipliant les stimulations numériques qu’ils se développeront mieux. La croissance de l’intelligence suit un rythme qu’il faut respecter. Contempler la nature permet de prendre conscience de la nécessité du temps long. Dans le cycle de la vie, le printemps ne peut s’épanouir sans l’hiver. Les plantes enfouies sous la terre ont besoin de ce repos. Plus l’hiver est rigoureux, plus le printemps est réjouissant. Dans l’éducation aussi, chaque période est nécessaire. Sachons respecter les temps de maturation des enfants, ne pas les bousculer.
Comment exercer sa patience ?
- Mesurer : savoir en toute lucidité quel impatient nous sommes et où porter nos efforts.
- Contempler : s’arrêter pour observer le vent dans les feuilles, des enfants jouer au bac à sable, des vaches au champ, la course des nuages.
- Prioriser : choisir une activité importante mais non urgente et lui consacrer du temps.
- Respirer : mettre de la respiration dans son emploi du temps, et chaque jour prendre un moment pour respirer en pleine conscience.
- Résister : ne pas sortir son téléphone à la moindre impatience
- Récompenser les efforts : dans le travail scolaire, valoriser le chemin plutôt que le but, les efforts plutôt que les résultats.
- Garder confiance : tout chemin connaît des obstacles, des détours, des retours en arrière. Même si nous avons parfois l’impression d’avancer dans un labyrinthe, restons confiants. L’issue existe.
La nature ne se presse jamais, pourtant tout est accompli, disait Lao Tseu. Retrouvons un juste rapport au temps pour vivre mieux à l’ère de la dispersion.