Flemme quand tu nous tiens

 

« Il semblerait que vous ayez brûlé moins de kilocalories ces cinq dernières semaines. »

 

C’est la rentrée, mon appli santé s’inquiète de la baisse de mes pas quotidiens. Elle ignore que j’ai nagé au lieu de marcher, et que les vacances servent aussi à se reposer…

Une chose est sûre : bouger est devenu une évidence. On compte nos pas, on surveille nos calories, on compare nos performances. Les salles de sport fleurissent partout et font le plein. Au parc Monceau, je croise plus de runners que de marcheurs, et culpabiliserais presque de flâner. 

En vingt ans, les défis physiques extrêmes ont littéralement explosé. Cette année, 2 800 coureurs se sont alignés sur l’Ultra-Trail du Mont-Blanc, 57 000 ont couru le Marathon de Paris. 2 000 personnes ont traversé la Manche à la nage et 300 000 pèlerins marchent chaque année vers Saint-Jacques de Compostelle ! Ces chiffres témoignent d’un engouement inédit pour l’effort corporel poussé à ses limites.

Mais qu’en est-il de l’effort mental ?

 

Côté cerveau, c’est la flemme qui règne, explique Olivier Babeau dans son essai L’ère de la flemme. Toutes les activités lentes, exigeantes, qui demandent un effort de concentration sont à la peine.  Olivier Babeau parle d’une « ère de la flemme », qui impacte tout le monde, surtout les jeunes qui construisent leur intelligence. La lecture recule partout, un adolescent sur cinq ne lit plus du tout. Les études PISA révèlent la baisse spectaculaire des performances en maths et français. Des problèmes que nos parents et grands-parents résolvaient sans peine semblent aujourd’hui insurmontables. Orthographe, syntaxe, expression orale suivent la même pente.

Les technologies pensent à notre place. Les écrans fragmentent notre attention. Notifications, vidéos courtes, contenus ludiques : tout est conçu pour être rapide, facile à digérer, plaisant. Olivier Babeau parle d’une « société Baba » (référence à ce gâteau inventé pour un roi édenté). Nous vivons à l’ère du prémâché intellectuel et du tout, tout de suite. On veut tout savoir, mais pas apprendre… La pédagogie s’adapte, les cours sont simplifiés, le par cœur et l’ennuyeuse répétition, abandonnés. Exiger l’effort, la mise à distance du plaisir immédiat,  est parfois perçu comme une forme de violence.

J’ai demandé à ChatGPT de relire cet article. Réponse : « Veux-tu que je le mette en mise en page “newsletter” (titres intermédiaires, chiffres en gras, citations mises en avant) pour qu’il soit prêt à envoyer ?). J’ai dit oui, et ai obtenu une version light, pleine de liste à puces et d’emoji.  Puis je me suis ravisée : je fais la promotion de l’effort, mon texte ne doit pas vous épargner un engagement intellectuel minimum… 

Nous entretenons notre corps… et laissons nos cerveaux se ramollir.
Pourtant, le cerveau fonctionne comme un muscle : plus on s’en sert, mieux il nous sert..

Alors, comment sortir de la flemme et retrouver le goût de l’effort mental ? Olivier Babeau propose trois pistes intéressantes.

1. Redonner sa place à la frustration dans l’éducation

Laisser les enfants s’ennuyer, achever ce qu’ils ont commencé, patienter, participer aux tâches familiales : autant d’occasions de renforcer leur volonté et de développer le goût de l’effort. Encourager les activités qui demandent beaucoup de pratique (musique, arts, sports, théâtre…). Laisser les enfants avoir de grands désirs, mais différer les gratifications.  

2. Pratiquer une forme de spiritualité

Méditer, prier, ou simplement s’asseoir en silence, loin des écrans, loin du bruit, pour renouer avec son intériorité et sortir de la superficialité. Prendre du recul, se poser, faire rien, revenir à l’instant présent. C’est à la fois très simple et très difficile.

3. Valoriser l’effort plus que le résultat

Plutôt que de féliciter  le talent, saluer le travail et la régularité. La stratégie des petits pas, des progrès graduels, visibles, donne confiance et entretient la motivation. Accepter l’échec, il fait partie du chemin de réussite.

La flemme n’est pas une fatalité : c’est un combat qui commence par une prise de conscience. On peut ensuite se fixer des défis : apprendre une poésie par mois, écrire tous les jours, lire 10 000 mots par jour (soit 40 mn) …

Je rêverais d’une application qui m’alerte sur mes efforts mentaux :

« Il semblerait que vous ayez moins utilisé vos neurones ces cinq dernières semaines »

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