La conversation, un art de l'attention

J’ai le bonheur de participer à un Book-Club depuis plus de vingt ans. Au cours d’un petit-déjeuner, chacune présente les livres qu’elle a lus depuis la dernière rencontre.  Ce moment précieux d’échange et d’amitié autour de nos émerveillements littéraires commence toujours dans une écoute pleine et entière. Mais peu à peu, la dispersion s’installe : on bavarde, on s’impatiente, on se coupe la parole. La cacophonie prend le pas sur la conversation, et les dernières à parler ont bien du mal à présenter leurs livres…

Cette expérience récurrente m’interroge sur l’art de la conversation, qui paye le tribut du manque d’attention généralisé…

Qu’est-ce qu’une conversation ? C’est un échange verbal, entre deux ou plusieurs personnes, qui permet de développer des idées, points-de vue, pensées. La conversation diffère du bavardage, sa version allégée, tissée de banalités et- hélas- d’inévitables ragots et de potins.  Converser, ce n’est pas débattre, ni démontrer ou convaincre, mais parler pour exercer l’esprit. La conversation est souple. Elle n’a pas de but, ne suit pas de plan, ne privilégie pas de sujet en particulier, dévie souvent de sa trajectoire. Elle engage celui qui parle autant que ceux qui écoutent.  L’échange se joue beaucoup dans les silences et le langage non verbal. Les yeux de l’interlocuteur indiquent son degré de présence réelle. La conversation est fondamentalement un « commerce » – selon Montaigne – qui tisse la relation entre les personnes.

 

Un jeu sans perdant

Montaigne compare la conversation au jeu de paume, l’ancêtre du tennis : les paroles fusent comme des balles. L’échange ne dépend pas complètement de celui qui envoie la balle, ni complètement de celui qui la reçoit. Selon Montaigne, la parole appartient 

« Moitié à celui qui parle, moitié à celui qui l’écoute ». Il faut sortir de l’idée qu’il y aura un sujet de la conversation. La conversation superpose toujours plusieurs propos qui s’enchevêtrent. La conversation n’est pas un affrontement. On ne cherche pas à être d’accord avec notre interlocuteur, mais à apprendre de lui, à le faire progresser dans sa propre pensée. « Ce qui compte dans une conversation, c’est moins ce que l’on dit que ce que l’on suscite chez l’autre. » disait Jean d’Ormesson.

 

Pourquoi est-il si difficile de converser aujourd’hui ? 

Un art du temps et du silence

Tandis que tout accélère, la conversation prend son temps. C’est frustrant. On ne peut pas converser en accéléré. Si on ne prend pas le temps, la conversation ne prend pas, la rencontre est escamotée. Montaigne compare la conversation à la lecture, activité lente par essence, où l’on avance pas à pas, page à page. Converser, c’est comme lire une personne. Elle se dévoile au gré des phrases, petite à petit. 

Si la discussion se tarit, nul besoin de la relancer. Elle repartira ou changera de cap. Les silences sont nécessaires à l’écoute, féconds. Il faut savoir les accueillir. Le silence parfois devient parole. Il suffit d’observer deux vieux amis assis au coin du feu. Ils ne parlent pas, et pourtant, sont en communion, vibrent à l’unisson. Le silence rend attentif à ce qui se passe autour de nous.  « Le silence est le souffle secret de toute parole vraie. » dit François Cheng

Un décentrage de soi

L’écoute réelle exige une disponibilité mentale difficile à accorder, parce que nous sommes davantage préoccupés de nous-mêmes que des autres.  Pour écouter il faut se mettre en retrait, être pleinement disponible à ce qui se joue ici et maintenant, accepter d’attendre son tour, d’accueillir un point de vue différent du nôtre.  Écouter, c’est renoncer à soi-même, c’est un don de soi, pas si facile à mettre en pratique….

 

Quelques pistes pour réapprendre à converser

  • Cultiver sa présence : même si la conversation s’enlise, s’efforcer de rester attentif, d’écouter, en espérant que l’inattendu surgisse.
  • Poser des questions ouvertes, s’intéresser vraiment à l’autre, sans jugement.
  • Accueillir les silences
  • Ne pas interrompre, éviter de couper la parole ou de la monopoliser
  • Éloigner les portables. Regarder son portable en pleine conversation revient à effacer la personne en face de soi. 
  • Pratiquer en famille. Les enfants se nourrissent de notre attention. Converser avec eux éduque leur écoute et leur attention, et les éloigne, momentanément, des écrans.

 

En conclusion : un plaisir et une nécessité

La conversation est un entraînement attentionnel, gratuit et plaisant. Comme un plat savoureux, une conversation réussie est longue en bouche, digeste et bonne pour la santé mentale comme physique.  C’est un art qui se marie parfaitement à l’art de recevoir, un remède à la dispersion, à l’accélération et au manque d’écoute. 

A pratiquer sans modération, et si possible autour d’un bon repas!

 

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